La Gauche est en crise dans toute l'Europe

Ecoutez l'intervention de Marcel Gauchet à la deuxième université d'été des Gracques (6-7 septembre 2008) dans laquelle il tente de redonner des perspectives historiques au réformisme radical ou à la social-démocratie éreintée paradoxalement par la victoire incontestable de ses idées.

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Avec quelques nuances locales, ils gèrent l’acquis…

Le Soir, Samedi 22 novembre 2008

La gauche réformiste n’est guère fringante de par l’Europe. Et il ne se trouve plus personne pour mettre cette méforme électorale sur le compte d’événements conjoncturels…

Marcel Gauchet, les partis sociaux-démocrates ont-ils pris la mesure de la crise structurelle qui les frappe, laquelle impliquerait de repenser leur logiciel politique ?

Marcel Gauchet- Non, ils ne l’ont pas prise. Et ça n’est pas très surprenant car, d’une manière générale, le personnel politique se méfie beaucoup des idées. Les hommes politiques sont des professionnels des élections. Il faut toujours beaucoup de temps – c’est vrai de la gauche comme de la droite – pour qu’ils prennent la mesure des évolutions profondes de la société, qui les obligent à des remises en cause stratégiques qu’ils n’aiment pas faire.

Quand ils étaient au pouvoir dans les années 90, les partis sociaux-démocrates ont cautionné des politiques de libéralisation des marchés ou de certains secteurs économiques et soutenu des politiques européennes restrictives en matière monétaire, avec des coûts sociaux importants. Et une partie de leur base les a sanctionnés pour cela. Mais quand ils défendent un vrai programme de gauche, d’autres les taxent de partis « archaïques »… Comment sortir de cette schizophrénie ?

Cette situation est en effet le témoignage d’un porte-à-faux intellectuel profond. L’absence de perspective stratégique découle d’un manque d’analyse de l’état de nos sociétés, des développements nouveaux de l’économie. Du coup, ils ont un agenda très pragmatique quand ils sont au pouvoir. En gros, c’est la même chose que la droite libérale, avec un supplément d’âme sociale. Partout en Europe, par rapport à leurs adversaires de droite, ils augmentent les dépenses sociales, c’est clair… mais cela se limite là.

La différence, c’est que la gauche était, en Europe, jusqu’à cette dernière période, le parti de la proposition, le parti de la transformation sociale, le parti de la réforme, le parti de l’avenir… C’est fini. Avec quelques nuances locales, ils gèrent l’acquis de l’époque où ils ont effectivement influencé de manière déterminante le modèle social européen. Mais sans perspectives sur l’évolution de ce modèle, sans réponses de fond. Or, les partis socialistes se sont construits, historiquement, avec la grande ambition d’offrir une meilleure intelligibilité du mouvement des sociétés par rapport au pur pragmatisme gestionnaire de la droite. Une meilleure intelligibilité au service d’une meilleure maîtrise de l’avenir collectif… C’est sur ce point-là qu’ils sont le plus en difficulté, car cette situation met en péril leur identité même.

Par ailleurs, le socialisme démocratique a été fécond et porteur quand il avait une contestation communiste sur sa gauche, qui l’obligeait à la fois à réfléchir et à faire des propositions alternatives audacieuses. Or, aujourd’hui, l’extrême gauche est purement protestataire, il ne s’agit pas d’une force de propositions.

La crise économique qui frappe l’Europe est le résultat des errements d’un certain capitalisme financier. Un terrain favorable pour un rebond des formations sociales-démocrates ?

Ça devrait être leur chance. Le problème est que leur armement intellectuel est essentiellement constitué par des économistes qui sont dans les parages néolibéraux… Ils sont donc aussi pris à revers par cette crise que les partis de droite classique. Cette crise, c’est une crise du modèle dans lequel ils se sont coulés. Alors, ils ont un discours antilibéral… mais qui correspond à quelle analyse des transformations opérées ? Où est l’explication autocritique du fait qu’ils ont appliqué eux-mêmes toutes ces réformes ? En France, c’est M. Bérégovoy (Premier ministre socialiste d’avril 1992 à mars 1993, NDLR) qui a fait la dérégulation financière, ce n’est pas la droite !

Le salut de partis sociaux-démocrates ne passera-t-il pas par une clarification de leur électorat cible ?

Il est évident que l’un des problèmes clefs de tous les partis socialistes en Europe, c’est le rapport à l’électorat populaire. Il y a un volet économique à ce problème, mais il y a également le fait que la perception des milieux « cultivés » de toute une série de problèmes – multiculturalisme, sécurité, etc. – ne correspond absolument à la perception de l’électorat populaire. Là aussi, il y a un grand porte-à-faux électoral qui supposerait, en fait, une grande analyse des mouvements de la société, qui n’a pas été plus faite que le reste.

Est-ce que, finalement, tout cela ne repose pas le problème de la faillite des grandes idéologies ?

Certes, nous ne vivons plus à l’heure des « grands récits » et de la foi révolutionnaire dans l’avenir radieux, ni même de la confiance dans le progrès. Mais il existe pourtant une idéologie très puissante dans notre monde : c’est l’idéologie de l’individu et de l’autorégulation. Il en existe deux versions : la version « marché » et la version « droits de l’homme ». Mais dans les deux cas, c’est l’individualisme comme valeur suprême. Et si l’individu est la valeur suprême, il n’y a qu’une manière de faire fonctionner la société, c’est par des mécanismes de type autorégulateurs. Donc, c’est la société de marché, dont le miracle est qu’elle n’a pas besoin de grands discours.

C’est n’est pas une grande idéologie, ce sont des « valeurs », comme on dit aujourd’hui. Les valeurs ont remplacé le grand récit historique. Mais c’est quand même une idéologie puissante, qui a gagné la totalité des acteurs de nos sociétés. Alors, la gauche préfère le versant « droits de l’homme », la droite le versant « marché économique », mais les deux communiquent. Et c’est précisément cette idéologie consensuelle générale qui est en train de craquer de partout à l’épreuve des faits. La grande différence, c’est que la droite ne revendique pas d’avoir des idées, de changer le monde. Le problème est pour la gauche, qui prétend, elle, comprendre le monde et le changer. Et elle ne sait pas, parce qu’elle est totalement secouée dans ses fondements par ce qui se passe…

Propos recueillis par William Bourton

Le savoir est devenu facultatif

La Provence, 3 décembre 2008

Dans votre dernier ouvrage, vous expliquez que le savoir scolaire a perdu de sa légitimité. De quelle manière?

Marcel Gauchet- Avant, il s’imposait avec une sorte d’évidence comme quelque chose qu’il était indispensable de posséder pour exister dignement dans sa vie sociale. Il n’a plus cette autorité-là. Tout le monde s’accorde bien volontiers sur son utilité. Mais en quelque sorte, il est devenu facultatif.

Comment expliquez-vous cet affaiblissement ?

La première explication, c’est l’effritement de l’idéal humaniste de la renaissance. Globalement, il fallait être cultivé pour être un homme de plein exercice. Aujourd’hui, l’idée d’humanité s’est dissociée de l’idée de connaissance. C’est lié à des changements très profonds qui ont à voir avec l’individualisation. On ne devient plus individu à travers de la connaissance, mais on l’est en naissance. Le savoir n’a plus du tout le même enjeu. Il y a un deuxième changement qui tient à l’état des techniques.

À ce sujet, vous pointez le rôle d’internet dans la perte de légitimité de l’école.

En tant qu’instrument technique, Internet est un outil fantastique. Mais à travers lui, se joue une évolution de l’image de la connaissance qui porte beaucoup plus loin. Ce qu’on pourrait appeler une extériorisation du savoir. Il est déposé dans des banques de données, et il suffit de se brancher sur des sources disponibles. C’est pas la peine de se farcir la tête de choses pour lesquelles il suffit d’avoir la clé d’accès. En ce sens-là, Internet donne à ses utilisateurs l’idée qu’ils peuvent tout savoir sans rien savoir.

Avec l’autre danger que ce savoir que l’on nous offre clé en main est ouvert à toutes les manipulations…

Bien sûr ! La réalité est à l’inverse de ce mythe. Plus que jamais, quand on a un outil comme celui-là, qui est l’objet de toutes les manipulations, il faut avoir un instrument critique par devers soi extrêmement efficace.

L’enseignant pourrait servir de filtre…

Malheureusement, l’enseignant tend à devenir une espèce de facilitateur marginal. Un animateur, et non plus le truchement indispensable par lequel il faut passer. Sont rôle s’est affaissé. Car il est laissé à l’abandon.

Vous vous êtes élevé contre la suppression de l’école le samedi matin.

Je pense que c’est une mesure démagogique, qu’aucune famille n’a eu la décence de demander. À travers ça, on dit que ce n’est pas important, l’école, par rapport à la vie familiale… On met le privé au-dessus du public.

Rêvez-vous encore à un type d’éducation?

Je ne fais pas partie des gens qui pensent que les carottes sont cuites. L’histoire avance et crée des problèmes auxquels on n’avait pas pensé. Mais à mon avis, ils sont solubles. Moi, je rêve d’une école qui serait faîte à l’intérieur d’une société qui serait derrière les enseignants pour leur donner un mandat clair sur ce qu’elle attend d’eux. d’une école qui serait faîte à l’intérieur d’une société qui serait derrière les enseignants pour leur donner un mandat clair sur ce qu’elle attend d’eux.
Propos recueillis par Laurent d’Ancona

Le regard de Marcel Gauchet sur le PAF

Ecoutez l’interview de Marcel Gauchet sur l’évolution des médias d’information, dans l’émission “j’ai mes sources” de Guillaume Erner, sur France Inter, datée du 29 décembre 2008. Propos repris dans Marianne «Marcel Gauchet jette un oeil sur les médias.»

Historicité des Droits de l'Homme

Réécouter l'émission Répliques sur France culture du 27 décembre 2008, Les Droits de l'Homme en question, avec Mireille Delmas-Marty et Marcel Gauchet. Valeurs occidentales impérialistes ou dernier refuge de l’universalisme ? Utopie bien-pensante ou source de réel progrès ? Droit gazeux ou positif ? Les droits de l’homme demeurent un objet en devenir, polémique parfois et souvent difficile à cerner.

Pouvoir de la philosophie

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Conférence : La crise financière, une approche politique à l'EHESS

L'Ecole des hautes études en sciences sociales organise une table ronde autour de la crise financière. Comme le titre l'annonce, l'approche sera politique.

Parmi les intervenants :

- Jean-Luc Gréau, économiste

- Jérôme Batout, doctorant en études politiques à l'EHESS, enseignant à la London School of Economics

- Pierre Manent, philosophe politique, directeur d'études à l'EHESS

- Marcel Gauchet, philosophe politique, directeur d'études à l'EHESS

- Michel Guénaire, avocat.

Vendredi 28 novembre, 17h, Amphithéâtre de l'EHESS, 5, bd Raspail, Paris 6e, M° Vavin ou Rennes-Raspail, entrée libre.

Repenser ce qui donne du sens aux savoirs à l’école

Marcel Gauchet était l'invité de l'émission "C'est arrivé cette semaine" ce samedi 25 octobre à 9h00. Il a abordé notamment la mutation de l'enseignement de la littérature et des sciences ainsi que la question de l'autorité du professeur. Ecoutez ou ré-écoutez l'émission.

téléchargez le podcast de l'émission : cliquez ici

Comment donner une nouvelle légitimité à l’école ?

Le Figaro, 22 octobre 2008

Dans un contexte social agité, le ministre de l’Éducation, Xavier Darcos a détaillé hier sa réforme du lycée. Le philosophe Marcel Gauchet, directeur d’études à l'EHESS et rédacteur en chef de la revue Le Débat, vient pour sa part de publier aux Editions Stock ouvrage intitulé Conditions de l’éducation. Ensemble, ils débattent des questions de fond agitant l’école, des mutations qui la guettent, de la « désacralisation » du savoir ou du thème de l’autorité.

Gauchet sur France culture

Marcel Gauchet était l'invité de l'émission "Les matins de France Culture" ce mardi 21 octobre de 7h40 à 9h00. Il y a longuement évoqué son nouveau livre Conditions de l'éducation. Ecoutez ou ré-écoutez l'émission.

téléchargez le podcast de l'émission : cliquez ici

Que fait l'école ?

François Dubet, Marie Duru-Bellat, Marcel Gauchet, Jean-François Boulagnon discuteront de l'évolution de l'Ecole dans les bâtiments de l'EHESS le 23 octobre à 18h30.

Le programme

Le temps de penser

Je vous propose un entretien de 26 minutes accordé à la Chaine parlementaire (LCP-AN) pour l'émission "Le temps de penser". Les réflexions de Marcel Gauchet proposent une approche critique de la modernité et mettent en relief les incohérences et contradictions du monde moderne pour toujours les replacer dans une perspective historique. Au moment où traversons une grave crise financière, l'idée que le mouvement spontané des échanges économiques explique le dynamisme de nos sociétés et en assure la cohésion est pour lui une croyance dangereuse, une illusion, qui a pour effet d'évacuer le politique de la scène visible.
LCP-AN-"Le Temps de penser" - 16 octobre 2008

Conditions de l'éducation

Parution aujourd'hui du dernier livre de Marcel Gauchet, Marie-Claude Blais et Dominique Ottavie, Conditions de l'éducation, chez Stock :

" Jamais l’accord sur les objectifs et les valeurs de l’éducation n’a été aussi large : tout le monde se retrouve dans l’idéal d’une éducation vraiment démocratique. Mais jamais l’incertitude n’a été aussi grande quant aux moyens à employer pour y parvenir. Les divisions font rage chez les professionnels de l’éducation. Les uns souhaitent le retour à des pratiques qui, disent-ils, ont fait leurs preuves ; les autres s’efforcent d’adapter les discours et les pratiques à une réalité sociale nouvelle et confuse. L’effort des trois auteurs est ici de repenser radicalement le lien entre démocratie et éducation, en s’interrogeant cette fois sur les conditions de l’enseignement. Car nous nous accordons tous pour dire que l’école doit transmettre des savoirs, mais nous ne savons plus quelle signification ce mot a aujourd’hui. Qu’est-ce qu’un savoir dans un monde qui égalise toutes les convictions ? Qu’est-ce que l’autorité dans un monde qui énonce l’égalité des individus ? Qu’est-ce que la transmission dans un monde marqué par l’instantanéité et la coupure des générations ? Tant que l’on n’aura pas posé ces questions, et qu’on ne leur aura pas trouvé d’éléments de réponse, on continuera à ne pas savoir ce qu’enseigner veut dire."

Nicolas Sarkozy, un symptôme de son temps

Acteurs de l'économie, mai 2008.

« L’Homme n’est pas naturellement constitué pour faire vivre la démocratie », assure Marcel Gauchet. Fort de ce postulat, l’historien et philosophe, auteur depuis plusieurs années d’une profonde investigation de la démocratie, détaille l’instant historique qui expose la démocratie contemporaine à une « crise de croissance ». En cause : le triomphe immodéré des droits humains et de l’individualité, auquel l’exercice excessivement personnalisé du pouvoir fournit une implacable résonance. « Le Président de la République est un symptôme de son temps ».
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Acteurs de l’économie - Vous avez étudié l’histoire de la démocratie. Elle apparaît à vos yeux aujourd’hui en « crise de croissance ». Quels en sont les symptômes et les répercussions ?

Marcel Gauchet - Pour la comprendre, la démocratie doit être examinée dans sa dimension et son mouvement historiques. En 2008, les caractéristiques de la démocratie sont très éloignées de celles déployées en 1908. Soixante-dix ans plus tôt, Tocqueville avait identifié l’égalité des conditions comme le ferment de la démocratie. Ce fondement demeure, mais la démocratie ne s’y réduit pas. Et l’évolution de la démocratie n’emprunte pas une quelconque forme de « croissance organique » au nom de laquelle, comme l’enfant passe à l’état adulte, elle franchirait linéairement les paliers de la maturité et de l’efficience. La réalité est autre. La démocratie prend appui sur trois piliers, qui ne progressent pas de manière mécanique ou similaire: les droits humains, l’Etat nation, enfin l’orientation historique, directement greffée à la donne économique et qui fournit son originalité à la démocratie moderne. L’enjeu et la difficulté de la démocratie contemporaine, c’est d’ajuster ces différentes composantes dont la compatibilité n’est pas naturelle. La « crise de croissance » que traverse aujourd’hui la démocratie prend appui sur un phénomène spécifique: nous connaissons un haut niveau de prospérité collective, qui dote les droits individuels d’une expression sans commune mesure avec le passé. Mais l’ampleur acquise par ces derniers est conquise au détriment des autres composantes et déstabilise l’ensemble. Résultat, concomitamment nous bénéficions d’une liberté individuelle sans précédent et subissons une impuissance collective de plus en plus flagrante: la liberté de tous et l’absence de pouvoir général. La recherche d’un meilleur équilibre est inévitable.

Une démocratie « en crise » ne signifie pas qu’elle est malade…

La démocratie est pleine de santé, mais d’une manière qui rend très difficile d’articuler ses dimensions.

L’un des principaux maux dont souffre la démocratie, c’est la sacralisation de l’individu, des droits individuels, qui dissolvent le sentiment d’appartenir à un collectif et le devoir d’y prendre part. Tout cela fait qu’« à la souveraineté du peuple se substitue celle de l’individu ». La politique de Nicolas Sarkozy, fondée sur l’individualisation - des initiatives, des récompenses, des sanctions… et de sa propre action -, aggrave-t-elle ce diagnostic?

Je le crains. A propos de la société, le Président de la République a produit de justes perceptions de son évolution, mais aussi un diagnostic hâtif sur ses problèmes. Déterminé à « coller » aux aspirations des électeurs, il est aussi dépendant de leurs contradictions. Sa politique tout à la fois va dans le sens d’un individualisme renforcé et réclame à chaque individu de se plier davantage à la discipline collective. Prise entre ces deux feux antithétiques, elle déploie alors une grande incohérence. Et les chances d’aboutir à une réconciliation sont très modestes.

La démocratie est-elle déniée lorsque le Président de la République conteste la décision du Conseil constitutionnel (loi sur la rétention de sûreté) et espère la contourner en sollicitant le premier Président de la Cour de cassation pour réexaminer le sujet?

Il s’agit moins d’un déni que d’une ineptie. Au point que cet épisode est à mes yeux mystérieux. Il témoigne d’une telle maladresse, que je ne peux y voir que l’effet d’un style individualiste de pouvoir, une forme de caprice personnel.

La stratégie présidentielle d’être en première ligne vis-à-vis du peuple, de court-circuiter le gouvernement, et de se rendre premier responsable de la politique développée, constitue-t-elle une avancée ou un recul de la démocratie?

C’est la marque d’une grave confusion, mais qu’il est possible de rectifier. Notons toutefois que l’aspiration à la responsabilité est très respectable, et succède à un système institutionnel marqué par un abus d’irresponsabilité présidentielle. Il faut saluer la volonté de Nicolas Sarkozy de riposter à cet abus en se chargeant de la responsabilité de la conduite des affaires. Mais il existe une limite, au-delà de laquelle l’exercice du pouvoir devient « egocratie ».

La crise des élites et la dépression nationale

Dans un entretien avec Elisabeth Lévy et Gil Mihaely pour le site Causeur, Marcel Gauchet est invité à donner son opinion sur la crise des élites françaises et leur responsabilité dans la "dépression nationale" traversée par la France depuis plusieurs décennies. Une occasion pour lire ou relire les propos qu'il tenait l'année dernière dans "Les élites perdent la têtes"

Les religions comblent un vide du discours social

Philosophie magazine, n°22, sept 2008

Selon Marcel Gauchet, historien et philosophe, la « sortie du religieux » a permis l'avènement de la démocratie. Les fondamentalismes sont une réaction des sociétés religieuses au choc de la modernité. Mais l'homme moderne ne peut faire l'impasse sur son aspiration à la spiritualité.

Philosophie magazine : Depuis votre livre Le Désenchantement du monde, en 1985, où vous défendiez la thèse d'une « sortie de la religion », le religieux semble avoir fait un retour fulgurant dons le monde. N'est-ce pas un démenti factuel à votre thèse ?

Marcel Gauchet : En aucune façon. Je n'ai jamais parlé de la mort de Dieu ou de la disparition de la religion mais de la sortie de l'organisation religieuse du monde. Car la religion, ce ne sont pas d'abord des idées ou des convictions, comme ce l'est devenu, nous autres occidentaux modernes. C'est un mode d'être des communautés humaines, une structuration de l'espace humain social en sa totalité. La sortie de la religion, c'est le passage dans un nouveau mode d'être politique, social, juridique, temporel. Ce processus-là, qui a engendré ce que nous appelons modernité, continue. Il n’implique pas la disparition de la croyance religieuse, mais il change sa place dans l'existence collective. Elle devient une conviction personnelle qui n a plus vocation à fournir une norme englobante de la cité. Pour les croyants eux-mêmes, il n’y a plus de loi de Dieu. Cela ne les empêche pas de regarder leur foi comme une grille de compréhension ultime de la destinée des créatures, mais ils admettent que la loi commune ne peut être que le fruit d’une libre discussion humaine, sur la base de convictions diverses. Nous parlons là bien sûr de l’Occident. Il n’y a aucune incompatibilité entre sortie de la religion et persistance de la croyance religieuse.

Mais ailleurs, les religions politiques ne font-elles pas retour, en particulier à travers les fondamentalismes ?

A quoi assiste-t-on aujourd’hui dans l’espace mondial ? A la diffusion de ce que la sortie de la religion a produit dans le monde occidental : raisonnement économique et scientifique, valeurs politiques de la liberté individuelle, etc. Ce sont des données qui arrivent comme des chocs culturels de première grandeur dans des sociétés encore largement structurées sur un mode religieux. D’où le choc identitaire et la réaction qui s’exprime dans les différentes formes de fondamentalismes. Le fondamentalisme est habité par le sentiment d'une rupture catastrophique et la volonté de revenir en deçà de cette rupture. Loin d'être démentie par ces phénomènes, la thèse de la sortie de la religion permet de les comprendre de l'intérieur.

Comment ?